Rien ne me prédisposait à devenir entrepreneur. Rien. Issue d’une longue lignée de fonctionnaires, j’ai grandi avec l’idée que le salaire était mon filet de sûreté contre les coups bas de la vie. La journée commence par un pointage, et se termine par un pointage. Un rythme immuable. Puis j’ai commencé à grandir, à voir les choses autrement, à voyager et à m’affranchir.
Des études en design, en art floral et puis en restauration d’antiquités (en Égypte, logiquement). J’ai cru finalement avoir trouvé ma vocation, étudier, fouiller, déblayer et étayer, quel bonheur! Et puis, une révolution, le pays chamboulé, les universités fermées, et sur le plan personnel, un cancer. Tout ce qu’il y a de plus normal à 29 ans!
J’ai compris ce jour là que mon salaire ne me protégeait de rien, quand celui qui le versait ne me voyait que comme une machine de production, et qu’il était tout à fait naturel de me mettre à la porte suite à mes «dysfonctionnements». J’ai également appris l’importance de ce que je mangeais, et comment on pouvait se suicider à petit feu avec une simple fourchette.
Trop de gras, trop de sucre, trop de sel, des colorants, des conservateurs, des arômes artificiels… Mon snack et mon shampoing ont des allures de famille à la lecture de leur composition. On me disait de manger des fruits et des légumes, je veux bien! Mais avez vous la moindre idée de la quantité de pesticides utilisés par les agriculteurs égyptiens chaque année? L’absence de loi relative aux OGM. Et puis se balader avec des produits frais à 50 degrés à l’ombre! J’ai commencé à chercher, à chercher, et puis Eurêka!
Durant un an et demi, mes compagnons d’infortune attendaient le passage de Chahenda dans la salle de soins, pour leur ramener des en-cas, des bonbons, des soupes reconstituables, des chips… Sans le moindre additif nocif, tenant dans un emballage hermétique, pouvant résister à toutes les conditions climatiques, pour presque rien. On faisait une collecte chaque semaine, et j’achetais avec l’argent amassé des produits de saison, bio dans la limite de ce que je trouvais, puis les préparais avec tout mon amour, depuis chez moi.
Je suis guérie, et depuis moins d’un an, je suis retournée en Tunisie, avec une seule idée en tête. Faire de notre pays le numéro 1 mondial producteur de «Healthy food and snacks».
AGAMA (Nature en Amazigh), était née! Mon rêve s’est agrandi, et au delà de la finalité du produit en soi, d’autres champs de bataille se sont imposés. Mon idée peut se réaliser dans une cuisine, comme dans une grande usine, n’importe où sur la planète, pourvu qu’on dispose de matière première de qualité. Avec ce concept, je voudrais donner aux familles dans les zones agricoles une arme contre la précarité, donner à leurs enfants une raison de ne pas quitter leurs terres et aller se perdre littéralement dans les grandes villes qu rechignent à les accueillir. Redonner une dignité aux femmes obligées de tout braver pour subvenir aux besoins de leurs familles.
Je voudrais également offrir un moyen simple, efficace et peu coûteux, de faire parvenir des aides aux zones sinistrées, aux camps de réfugiés, aux confins de la planète.
AGAMA n’est qu’amour pour notre Terre! C’est pour cela que nous avons une approche très verte de notre processus de fabrication, avec l’utilisation d’emballages recyclés/recyclables, la transformation de nos déchets organiques en compost à distribuer à nos producteurs, l’utilisation d’énergies renouvelables, la plantation et reforestation de certaines zones…
Quand on défend un projet pareil, on est facilement taxée de maladivement optimiste, non réaliste, à la limite de l’idiotie. Nos structures gouvernementales ne sont pas spécialement souples face aux nouvelles technologies, les cahiers de charge datent d’une quarantaine d’années de même que les estimations de coût.
Quand on travaille comme traductrice en freelance, (oui, c’est ce que je fais), vous n’êtes solvable pour aucune banque, ni même pour les organismes de leasing. On ne vous donne pas d’argent sans déclaration de société, et on ne veut déclarer votre société sans argent. Un interminable cercle fermé.
J’ai pu rencontrer des investisseurs privés qui ont eu la perspicacité de voir tout le potentiel d’AGAMA, mais ça n’a jamais abouti, car mon attachement aux idées du commerce équitable et mon engagement à venir en aide à différentes associations ne sont pas en parfaite adéquation avec la vision purement capitaliste de ces investisseurs.
Pourtant, je veux faire d’AGAMA une réussite sur le plan financier également, car de cette manière seulement elle pourra s’agrandir et aider encore plus de gens.
Edegeryders pourra être l’endroit où je pourrais finalement rencontrer des interlocuteurs qui partagent non seulement mes idéaux et mes rêves, mais également cette façon saine d’envisager le commerce et le business. Des personnes qui ont leur propre vécu, des expériences, des solutions… Une communauté de cette envergure doit également avoir des contacts, et c’est une chose qui me fait défaut en Tunisie. Après plus de 10 ans d’absence, bien de choses ont changé!
J’essayerais d’apporter ma propre pierre à l’édifice, et je peux déjà m’engager à une chose, je ne laisserai jamais tomber. J’ai transformé ma cuisine en petit atelier, je perfectionne mes recettes, j’étudie les marchés potentiels et à 36 ans, j’ai autant d’énergie et de détermination que quand j’en avais 20, peut être même plus.
C’est la fin de ma petite histoire, mais peut être le début d’une bien plus grande, celle d’Agama et Edgeryders.
Chahenda Mouldi Adam