Giacomo Neri, l'agilité qui permet de mesurer l'inconfort des situations

Ceci conclut ma série de 4 rapports de mission sur les ambassadeurs Edgeryders, Tiago Dias Miranda, Andrei Trubceac, Alessia Zabatino, et Giacomo Neri.

Giacomo Neri

Nous avons recours à toutes sortes d’instruments de mesure. Par exemple, nous utilisons le thermomètre pour mesurer la température ambiante. Le baromètre nous permet de mesurer la pression atmosphérique. Le pèse-personne nous indique les kilos en trop ou en moins.

Cependant, il n’existe pas d’instruments pour mesurer les situations et nous donner le pouls dans nos relations avec les autres. Imaginez! Ce serait formidable d’avoir une sorte de montre qui se mettrait à s’affoler chaque fois que nous racontons des bêtises ou que nos propos sont blessants, ou encore non appropriés à un groupe-cible de personnes. Malheureusement, nous ne disposons pas encore de tels capteurs de pensées.

Il n’y a pas non plus de programme informatique ou d’application que l’on peut brancher sur la table de conférence, qui capte les émotions et les pensées des gens présents dans une salle.

C’est difficile à expliquer,  mais je pense que Giacomo Neri a une sorte de baromètre interne. Il ressent les impressions que les autres vivent mais n’osent pas exprimer tout haut. Quand la pression monte et que les cerveaux se mettent à surchauffer, Giacomo émet des signaux qu’il suffit d’essayer d’interpréter, un peu comme on lirait un instrument de mesure, pour tenter de saisir quelle pourrait être la perception d’un groupe.

Par exemple, lors de la mini-conférence Edgeryders de mars à Strasbourg, Giacomo m’envoyait des gazouillis pour me signifier son inconfort. Je ressentais moi-même cet inconfort chez plusieurs personnes présentes dans la salle, mais lui l’a manifestée. D’autres n’ayant pas remarqué ce qui se passait, lui ont demandé, «Pourquoi fais-tu cela?». C’est ainsi que j’ai pris connaissance de la capacité spéciale de Giacomo, et j’ai immédiatement fait le lien avec son expérience des six dernières années, au cours desquelles il a tenté de nous avertir que le système d’éducation ne tourne pas rond, qu’il y a quelque chose qui cloche avec ce système. Giacomo a 24 ans. Depuis des années, il s’efforce d’envoyer des signaux pour faire comprendre qu’il existe un profond malaise avec le système éducationnel.

Cette capacité particulière pousse Giacomo à constamment s’adapter. Il s’appuie sur l’improvisation pour s’ajuster aux situations. Tout comme je l’ai décrit pour les trois autres ambassadeurs Edgeryders, Giacomo a développé une habilité pour une forme particulière de souplesse, qui pourrait devenir un atout majeur dans son parcours professionnel.

Je perçois l’agilité particulière de Giacomo comme une certaine forme d’intuition. Les dauphins et les baleines entendent et communiquent avec des ultrasons. Je me rends compte que des jeunes, tels que Giacomo, sont en train de développer de nouvelles habiletés, qui pourraient être très utiles en cette période de transition. Pour arriver à faire en sorte que nos systèmes et institutions parviennent effectuer une transformation organisationnelle qui soit accordée aux plus profondes aspirations de la population, nous avons besoin d’être ouverts à de nouvelles façons de faire.

Je continue de croire à la pertinence que des équipes composées de divers types d’iconoclastes pourraient parvenir à améliorer la gestion et à solutionner des problématiques. Des jeunes ayant des profils sortant de la normalité, un peu comme celui de Giacomo, pourraient servir d’instruments de lecture et de mesure des situations. Qui sait? Cela pourrait être poussé, d’ici quelques années, à tenter de lire dans la conscience collective?

J’ai lu dernièrement qu’il y a des scientifiques qui ont développé un programme qui permet de lire dans les pensées des gens, sans qu’ils ne parlent tout haut. Il y a par conséquent déjà des travaux scientifiques pointant dans cette direction. Voir «Des chercheurs capables d’entendre ce que l’on pense tout bas». http://links.visibli.com/share/wZ3jgL

«À l’Université Berkeley en Californie, un groupe de chercheurs, Brian Pasley en tête, développe une technologie permettant de découvrir ce qu’une personne entend ou pense tout bas. La technologie en question consiste à surveiller les ondes cérébrales d’un individu. En effet, lorsqu’une personne entend une sonorité, son cerveau réagit. Cette activité cérébrale est étudiée à la loupe et les chercheurs ont constaté que chaque son correspondait à une onde cérébrale précise. Il serait ainsi possible de deviner ce qu’une personne entend ou pense rien qu’en surveillant son activité cérébrale. Le premier débouché serait de comprendre ce qu’un patient paralysé ou dans un état végétatif aurait à communiquer.»

Mais je suis persuadée que les humains peuvent parvenir aux mêmes résultats, sans l’aide d’aucune machine ni aucun programme, rien qu’en développant leur cerveau et leurs capacités intuitives.

Je souhaite sincèrement à Giacomo qu’il trouve des gens qui le verront tel qu’il est, et qui reconnaîtront sa façon bien à lui de voir le monde, et que cela l’aidera à s’épanouir et à développer ses talents particuliers. Connaissez-vous des gens comme lui? Qu’est-ce qui fait, d’après vous, qu’il possède ce talent particulier de perception accrue?

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Des esprits non pas malléables mais souples

Lisant le texte de Lyne, j’ai pensé à mon fils. Non que les portraits de jeunes gens se superposent mais je vois deux points communs : intuition et souplesse adaptative…

Mon fils de seize ans a un rayonnement “naturel” et est heureux. Très doux dans l’âme, c’est une sorte de “guerrier”. Je m’explique : adepte du Parkour-freerun -ou art du déplacement -, l’état d’esprit y est de se dépasser…

Il en est naturellement leader mais pas chef ; il a du charisme sans en profiter pour imposer ses vues et ses goûts. Bref, refusant l’élitisme exclusif -et sans pour autant céder à l’effet groupal-, il a comme le sens du… Tout humain.

Au quotidien, nous avons parfois l’impression qu’il est peu impliqué ; et pourtant ! On s’aperçoit qu’il capte beaucoup de ce qui a lieu autour de lui. Ainsi, resté discret lors d’une réunion, il aura eu une perception subtile de chacun…

Lorsque nous parlons, il arrive de pressentir ce que l’autre va répondre. Nous nous interrompons et jouons : “Je crois savoir ce que tu vas dire, qu’en penses-tu ?”. Réponse : “Oui, je crois que tu sais”. Et c’est souvent juste.

Au lycée il se maintient grâce à un confortable QI. Il a horreur de l’injustice et sort alors de sa réserve, apprécié pour cette loyauté. A noter que l’impression dominante qu’il retire de la confrontation au monde adulte est que ceux-ci ne s’intéressent majoritairement pas aux jeunes…

De là, sur la base du feeling aïgu développé dans son sport et de son intuition, il rejoindrait l’exemple décrit par Lyne en une souplesse comportementale, une capacité d’adaptation.

Je n’ai pas voulu brosser un tableau idyllique ; je crois juste que ces générations sont très aptes à ce que l’on appelle la coopétion : être Un, non pas en opposition mais avec les autres.

Le germe d’une nouvelle lumière

Allo Serge,

Merci pour la très belle description de ton fils! J’ai hésité près d’un mois et demi avant de publier ce rapport de mission à propos de Giacomo, car c’était le plus original de ma série de quatre. Je suis contente d’apprendre qu’il existe d’autres jeunes, qui ont des ressemblances avec le Giacomo que j’ai décrit.

Moi aussi, j’ai tendance à rester discrète lors de réunions. Je vois des choses à propos des gens et des situations qu’ils ne voient même pas eux-mêmes. Cela me vient tout naturellement, je ne fais aucun effort, les détails me sautent presqu’aux yeux. Pour les paroles vraiment très importantes, on dirait que le temps ralentit, c’est comme si la personne en face de moi défilait plus lentement, de la même façon qu’on fait passer un film en vitesse plus lente. Je sais alors que ce qui vient d’être dit venait de ce qu’il y a de plus élevé chez cette personne, et que cela a probablement orienté des années de projets et de comportements. Ces paroles s’impriment dans ma mémoire, et j’en contemple la beauté pendant des années après les avoir entendues.

D’autre fois, j’apperçois le visage de certaines personnes briller lors d’une rencontre. Un peu comme dans le film “Twilight”, quand la lumière frappe la peau d’un vampire. Cela m’en dit alors un peu plus à propos de la véracité de leurs émotions ou de leurs propos.

Les discrets ne sont pas nécessairement synonymes d’absence de leadership, ou de “malléabilité”, comme tu l’as si bien indiqué. C’est juste qu’ils font les choses différemment. En fait, ils possèderaient autant de pouvoir, sinon plus, que les personnalités portées à s’extérioriser plus facilement. La première qualité du leadership étant de savoir observer et écouter, il arrive souvent que celles et ceux qui passent leur temps à parler n’ont pas de capacité d’écoute très étendue.

Ton commentaire est une note d’espoir. Les générations actuelles de jeunes se dirigent vers davantage d’unité? Il y a tellement de séparabilité en ce moment, que nous avons désespérément besoin d’individus qui vivront à l’opposé.

Justement à ce propos, je lisais ceci, de Carl C. Jung ce matin. Cette phrase a retenu mon attention: “When one principle reaches the height of its power, the counter principle stirring within, contains in its darkness the germ of a new light.” (Quand un principe atteint toute la hauteur de sa puissance, le principe inverse, remuant de l’intérieur, contient dans ses ténèbres le germe d’une nouvelle lumière.)

Observer, oui

Bonjour-bonsoir Lyne,

Être à l’écoute d’autrui devient peu à peu une manière simple d’incarner la sacré. Je parais solennel mais je parle de ce que je vis ; de ce que j’ai mis longtemps à découvrir et que, finalement, l’existence me révèle suite à un accident et l’installation d’un handicap…

J’avais lu qu’écouter quelqu’un est une façon de lui donner le droit de vivre. Non pas le droit fondamental à être et respirer, bien sûr, mais au moins pouvoir s’épanouir en notre présence. Et c’est vrai : cela se sent, se voit à la vie qui anime un visage, aux confidences qui viennent, enfin au plaisir partagé…

Pour ma part j’ai des intuitions très fortes de l’immédiat de la relation : je sais souvent ce que l’on va me dire. Auparavant j’en imposait l’intuition et je manquais donc de respect. Aujourd’hui, c’est un jeu. Je laisse supposer, je tends la perche.

On est là je crois dans la magie de l’existence qui est un mince filet d’eau, lequel se perdrait sauf notre présence attentive

Un bon coup d’éclair sur la tête!

J’ai dormi sur ton dernier commentaire., je voulais le savourer encore quelques heures. Je trouve cela rafraîchissant que tu entrevois l’écoute comme l’incarnation du sacré. Même que cela renverse les perceptions et montre la direction vers un autre type de leadership et de style de vie.

Dans le contexte actuel, l’écoute se retrouve souvent parmi la liste des recommandations aux politiciens et gestionnaires gouvernementaux. Avec l’explosion des médias sociaux, l’écoute est désormais de plus en plus à l’ordre du jour des préoccupations d’entreprises et de gouvernements.

Toutefois, je constate que certains types de personnalités ne sont pas capables d’écoute. Les types qui baignent dans l’arrogance et la suffisance, même s’il faisaient la promesse de porter attention à une écoute accrue, ne seraient pas en mesure de tenir leur promesse. Cela n’a pas encore été compris dans la plupart des sphères gouvernementales: il y a des verrouillages de comportements et d’attitudes qui ne peuvent être déverrouillés.

Le manque d’écoute, jusqu’à présent, a été expliqué par le fait que nombreux individus se trouvent dans l’Ombre. C’est surtout ce côté négatif qui ressort, dans la majorité des articles, études, analyses ou discussions. Bien que le Dr Deepak Chopra ait inclus l’écoute comme la première chose à faire, dans son livre ‘The Soul of Leadership, unlocking your potential for greatness’, publié en décembre 2010, l’écoute n’est pas encore perçue comme l’incarnation du sacré.

Ce que je n’arrive pas encore à visualiser, dans ma tête, c’est comment nous allons pouvoir composer avec les gens qui sont actuellement dans des postes de gestion et de direction, et les faire passer de l’Ombre à un état plus élevé, qui favosiserait l’écoute et de nombreuses autres dispositions, plus altruistes. Je vois des citoyens se morfondre pour faire des projets à la place des gestionnaires (les hackers créent des bases de données, d’autres conçoivent des plate-formes collaboratives, etc.), mais aucun d’entre nous, même en le souhaitant de toute notre volonté, ne peut penser à la place des gestionnaires. Cela doit venir d’eux. Je disais dernièrement à un de mes collègues de Démocratie ouverte, chacun respire par soi-même…

Il s’agit d’une problématique qui me tourne dans la tête depuis plusieurs mois. Comment faire pour que le basculement des esprits ait lieu? C’est un peu trop compliqué pour mes pauvres neuronnes ordinaires… Cela me dépasse largement. Jusqu’à présent, j’ai songé au remplacement des individus qui sont verrouillés dans leurs perceptions, à l’introduction, dans des équipes ou des communautés, d’individus portant des valeurs différentes pour créer une diversification qui graduellement permettra de casser le modèle monolothique de l’Ombre, et à continuer de défendre les valeurs du sacré, en pointant des exemples, en en parlant et en les maintenant à l’ordre du jour des discussions. À moyen terme, si une importante proportion de la population porte ces valeurs dans leurs esprits, cela donnera lieu à d’heureuses initiatives.

L’idéal, ce serait qu’il surviennent un événement magistral, qui illumine d’un coup les esprits, et fasse ainsi basculer une importante proportion de la population vers de nouvelles façons de vivre. Cela aurait pour effet d’accélérer la transition. La théorie de Dieter Broers est vraiment très tentante… Elle faciliterait tellement les choses. Imagine la foudre qui terrasserait, tel pour Saint-Paul à Damas, ceux dont l’esprit est enfermé dans l’Ombre!

Une autre théorie, beaucoup plus concrète, qui relève un peu du tordage de bras et de la main de fer, est la théorie de Hillary Clinton, qui s’appuie en fait sur la peur. Je n’aime pas tellement cela, mais c’est malheureusement ce qui fait courir le monde depuis que le monde est monde. Dire aux gestionnaires que s’ils n’adoptent pas la philosophie du gouvernement ouvert (avec plus de collaboration, donc nécessairement plus d’écoute), ils risquent de faire face au chaos social, les pousse à agir non pas parce que ces idées les attirent sincèrement, mais pour éviter le pire.

Those governments that hide from public view and dismiss people’s aspirations for greater freedom and openness will find it increasingly difficult to prosper, to maintain peace and security,” declared Hillary Clinton.

‘Dismiss people’s aspirations’ signifie en d’autres mots manquer d’écoute…

L’idéal serait que chacun ouvre son esprit par soi-même. Je suis portée à penser que certains n’y parviendront jamais. Un bon coup d’éclair sur la tête… ne ferait pas de tord à plusieurs…!!! J’aimerais vraiment que la théorie de Broers se matérialise, en plus, c’est prévu pour 2012. Raison de plus d’espérer qu’un facteur accélérateur surgisse prochainement. Sinon, les récalcitrants seront contraints de se plier à reculons, et cela, je n’ai pas trop confiance que ça produise des résultats optimaux.