L’avenir de la société mondiale passe, sans aucun doute, par de nouveaux développements de l’Internet et une intensification marquée de ses usages collectifs globaux, continentaux, régionaux et locaux. (Cf, dans un précédent billet, l’opendata, le partage des ressources de données et la tendance marquée vers le #gouvernement_ouvert, l’e-governance plus l’open-government).
Aussi, à l’heure où l’on évoque comme une réalité quasiment acquise - en « réalité augmentée » bien sûr - le Web 3.0, ce web sémantique régi par un systèmes de métadonnées où les réseaux sociaux commenceraient à s’interconnecter pour parler ensemble, est-il temps de s’interroger utilement.
Alors même qu’un Joel de Rosnay, père spirituel du pronétariat, pense déjà à un Web 4.0, un web symbiotique en connexion permanente et universelle, en symbiose ubiquitaire, avec l’intelligence collective ambiante, ne faudrait-il pas jeter d’urgence les bases formelles et connectiques d’un encore utopique #GlobalSocialNetwork³, modéliser un réseau mondial des réseaux de réseaux associatifs? Afin que tous ceux qui oeuvrent semblablement au bien commun, au sein de l’énorme mouvance associative des sociétés civiles, partout dans le monde et dans divers domaines d’implication sociale, soient interconnectés, audibles, visibles et compréhensibles de leurs pairs. Tous à même de faire connaissance ou mieux se connaître, et surtout échanger rapidement, directement et efficacement leurs idées et leurs pratiques…
GlobalPeer2Peer©jackyd
Aujourd’hui, beaucoup de gens au sein d’associations et d’organisations diverses veulent changer le monde. Mais ils le veulent tous de manières différentes, à des moments différents, dans des langues et des lieux différents, sans se connaître. Et souvent sans possibilités concrètes de partager leurs expériences, d’échanger leurs bonnes pratiques ou simplement leurs impressions et réflexions sur l’état du monde, proche ou lointain, qui les entoure.
Prenons des exemples. Dans une seule des 19 communes de la région officiellement bilingue de Bruxelles, capitale de l’Europe, où se côtoient journellement une centaine de nationalités, si pas de communautés européennes et extra-européennes, à Saint-Gilles pour ne prendre que ce paradigme bruxellois de la multiculturalité locale (42% de sa population sont de nationalité non-belge, mais bien plus encore sont d’origine immigrée parmi ses quelque 45.000 habitants), il est déjà extrêmement difficile d’inventorier de façon précise et exhaustive les dizaines voire les centaines d’initiatives culturelles formant en couches superposées et parfois étanches un tissu associatif dense, concentré sur 3 ou 4 km².
Que dire alors du réseau local des seules interconnexions associatives saint-gilloises? Ou des relations réticulaires, existantes ou non, avec l’ensemble du maillage interculturel potentiel, bruxellois et belge? Ou de leurs extensions virtuelles possibles ou probables vers les dix localités étrangères (9 en Europe, 1 au Maroc) auxquelles cette commune bruxelloise est jumelée?
Bon nombre des organisations culturelles et autres évoquées dans cet amoncèlement de structures citoyennes auraient pu à bon droit revendiquer une place au sein du « Rassemblement des Résistances Innovantes », belle tentative de mobilisation en réseau qui a tenté de se constituer, sur un plan communautaire francophone, dès 2007, pour fédérer quelque peu tout un monde alternatif agissant en ordre dispersé. Noble intention mais moyens - techniques, humains et financiers - alors plus que limités: il eût probablement fallu commencer, sur la suggestion de l’auteur de ces lignes, par établir un cadastre socioculturel, une « cartographie » au moins virtuelle, si pas une véritable stratigraphie territoriale, du tissu associatif concerné. Sa complexité a sans doute eu, d’emblée, raison du projet. Sa complexité, l’absence d’outils d’interfaçage appropriés en ligne et, bien sûr, la méconnaissance mutuelle des uns et des autres…
Pour prendre un autre exemple, les pionniers des Jardins Solidaires urbains (tels qu’il en existe deux ou trois à Saint-Gilles précisément, à l’image de leurs grands ancêtres les Jardins communautaires québecois, nés en 1975!) semblent inconnus ou oubliés aujourd’hui, sur Internet, des dynamiques initiateurs belges des « Jardins collectifs » – pourtant rigoureusement sur le même axe d’action environnementale et sociétale. Lesquels verts activistes sont éventuellement considérés de très loin par les Jardins de Cocagne français, sinon les AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne). Qui eux-mêmes ne sont pas nécessairement en relation avec le Slow Movement (Slow food, Slow life) paneuropéen. Ou encore le mouvement plus récent en France et en Belgique des « Villes en Transition », inspiré par le « Transition Towns Network » lancé dès 2006 en Angleterre par la petite ville de Totnes (Devon) et le jeune professeur Rob Hopkins, sur base de quelques principes simples comme la permaculture (agriculture permanente), les circuits économiques courts et surtout la résilience environnementale, forme d’empowerment local.
Mais souvent anglophones et francophones s’ignorent – pour ne s’en tenir qu’aux deux langues véhiculaires usuelles de la diplomatie ancienne, sans parler des hispanophones, germanophones, russophones, etc. J’ai moi-même pu constater sur place, au Schumacher College de Dartington, centre nerveux de toute la mouvance transitionnelle organisée, que nos amis anglo-saxons, au demeurant très flattés de l’intérêt porté à leurs idées et actions collectives (bien résumées, mais en anglais exclusivement, dans une vraie Bible, The Transition Handbook, Green books,2008), ne savaient pas grand-chose à l’époque de tout ce qui pouvait bien se tramer de similaire sur le Continent d’en face!
Et c’est pareil dans l’autre sens : les « Initiatives de transition » anglaises sont aussi peu documentées et médiatisées chez nous, en Europe continentale, que semblent l’être, dans l’univers culturel anglophone, Etats-Unis inclus, certaines démarches citoyennes collectives venues d’ailleurs et qui mériteraient pourtant, au vu de leur originalité et de leur utilité sociale, d’être partagées ou répliquées.
On pourrait multiplier les exemples. Jusqu’à il y a peu, les sites publics ou semi-publics d’open-government et/ou de démocratie directe (comme Government In The Lab, OpenIdeo, Démocratie & Participation) n’étaient encore que faiblement reliés, voire pas du tout en contact.
Sauf à faire une veille informative très pointue, difficile dans ces conditions donc, pour des écologistes urbains de Londres ou de New York par exemple, de découvrir que la création, par la Mairie de Paris, d’un accès en « open data » au registre des plantations arborées de la capitale française, avait permis à des associations d’internautes locaux d’en établir immédiatement un cadastre interactif, une application fort utile désormais aux institutions parisiennes de soins en allergologie comme aux associations de patients allergiques. Une bonne idée à copier et exploiter pourtant (tout comme la green guerrilla londonienne…)
Un autre exemple vécu me revient en tête. Qui connaît aujourd’hui, en dehors des pays scandinaves et de quelques membres du réseau ESAN (European Social Action Network, Réseau européen d’action sociale), la remarquable initiative sociale qu’est le Pojkprojekt suédois en faveur des garçons pré-ados en dérive parentale, expérimentée avec succès par plusieurs municipalités en Suède? Et pourtant, combien d’associations de banlieues urbaines seraient intéressées et bien inspirées de proposer ainsi un subtil modèle paternel de substitution à des petites groupes de gamins échappant à toute autorité morale?
Et pour ce qui est de changer le monde et éveiller les consciences collectives locales, quelles passerelles, quels échanges n’y aurait-il pas à bâtir en co-construction, fondée sur un vrai web symbiotique, à partir des magnifiques exemples de réalisations de terrain que nous offre aujourd’hui l’Afrique qui change avec, en français et en anglais soulignons-le, le réseau Harubuntu…
L’appel est donc lancé pour un projet porteur, citoyens du monde. Résumons. Un nom, une image, un logo à trouver, sans doute. Mais surtout un porteur de projet aux reins solides, peut-être un institutionnel du W3C (World Wide Web Consortium pour les intimes). Et, plus essentiel encore, un réseau de développeurs en open source, open data, pour faire exister aussi vite que possible ce qui n’est encore, il faut bien l’admettre, à pareille échelle macroscopique, qu’une belle utopie. Un réseau de réseaux de réseaux sociaux à usage collectif et altruiste. Un Network au cube. Traduisez^^et faites passer s.v.p. …
(JD, première publication sur Jacky Degueldre diablogue, 17 avril 2011)