RAFTING ON THE EDGE... (French text, no English translation available now)

RAFTING ON THE EDGE…

Du mouvement fluide en politique à la « démocratie liquide »:

vers une généralisation socio-systémique de la dynamique des flux

Plutôt que sur un projet concret, dont les Edgeryders ne manquent généralement pas, c’est sur un modèle théorique simple et original que j’aimerais proposer au groupe de travail « We The People » de se pencher pour commencer.

S’agissant de repenser et ranimer l’exercice de la démocratie directe dans nos sociétés ankylosées, nous pourrions tenter ici de modéliser ensemble ce que j’appellerai par analogie le « rafting démocratique ». Je m’explique.

Ce modèle systémique repose, si l’on peut parler ainsi en milieu naturellement agité, sur la dynamique des flux événementiels appliquée au système politique. Lequel, comme chacun sait, se pique de gouvernance, qui n’est autre que la cybernésis des anciens Grecs, l’action de diriger avec un gouvernail. Bref, l’art marin du pilotage à vue, fût-ce d’un gouvernement en dérive et pour aller, tel le navire d’Ulysse dans l’Odyssée, de Charybde en Scylla, « de mal en pis ».

Plus généralement, cette approche mouvementée du mythe démocratique s’articule sur l’idée phare que tout, plus que jamais dans ce monde en mouvement, est par nature conjoncturellement mouvant ou structurellement instable, inconstant, fragile et non destiné à durer indéfiniment, au long d’une ligne du temps inéluctablement parcourue de flux historiques multiples, intermittents voire incessants, cependant rythmés par des instants critiques, des moments de crise, des conflits à désamorcer dans l’urgence.

Les stratèges du Yi Jing chinois le savaient déjà intuitivement qui, dans leur Livre des stratagèmes, plaçaient en tête des plans pour les batailles déjà gagnées, et pas seulement sur l’eau, deux préceptes métaphoriques d’inspiration on ne peut plus navale: « Traverser la mer sans que le ciel le sache », ou « Mener l’empereur en bateau », ce qui revient au même.

Quelques siècles, guerres et révolutions plus tard, la Société des Nations, grande édification symbolique conçue pour la sécurité collective de l’empire mondial et l’amélioration globale de la qualité de la vie, a tenu à peine un quart de siècle avant de laisser la place à l’Organisation des Nations Unies, vacillant elle-même régulièrement, de nos jours, sur ses assises censément pacifistes et universelles. L’Histoire contemporaine a vu, comme se délitent les falaises attaquées par l’érosion des eaux en furie, des tours symboles du nouveau monde et du commerce mondial s’écrouler sous les coups de boutoir du terrorisme; des économies nationales s’effondrer par pans entiers sous les assauts d’un capitalisme sauvage emportant même les grandes banques dans la tourmente; des murs bâtis comme des digues de protection de soi-disant démocraties apparaître et disparaître en quelques décennies; des blocs politiques entiers que l’on croyait immuables se désagréger soudain, sapés par la corruption et les tensions sociales; des forteresses d’intolérance ne pas résister bien longtemps aux flux migratoires répétés. Et voici enfin le monde entier bientôt parcouru, un peu partout, par des vagues d’indignation et de protestation des foules contre la mauvaise gouvernance généralisée des puissants.

« La modernité, c’est le mouvement plus l’incertitude », magnifique définition macro-systémique de l’anthropologue Georges Balandier dans son ouvrage visionnaire (1988), Le Désordre, Eloge du mouvement : nous y voilà en plein.

A une échelle plus individuelle, comment tout cela peut-il être compris et vécu? Face aux événements, « comment faites-vous votre veille média? » interrogeait récemment, sur le réseau social LinkedIn, un groupe d’Observateurs des médias. Voici ma réponse intégrale, où je tentais déjà de décrire, à mon simple niveau, sous un titre formulé « NAVIgaTIOn EVéneMEnTIeLLe», le paradigme du « rafting » événementiel évoqué plus haut et rapporté ici à l’homme se mesurant aux flots.

« Comment je fais ma veille média aujourd’hui, me demandez-vous?

Comme tout le monde, modestement, personnellement, empiriquement.

De manière essentiellement intuitive et forcément parcellaire, avec lucidité quant aux limites techniques de l’exercice. Et, probablement, un sens critique plus aiguisé que la moyenne, en fonction d’une approche théorique relativement bien modélisée.

Laquelle est basée sur la dynamique des flux événementiels et l’attention portée par l’homme averti aux phénomènes dissipatifs ou disruptifs dans l’actualité. Selon un postulat célèbre, formulé par Georges Braque: “seul l’imprévisible crée l’événement” - Prigogine parlait, lui, des accidents, des bifurcations de l’histoire…

Concrètement, cela veut dire que je suis, tout comme vous, un navigateur involontairement embarqué sur un cours événementiel aux eaux plus ou moins vives et tumultueuses (vitesse et pression médiatique sont inversement proportionnelles, un paradoxe que bien peu réalisent). Des flots tantôt calmes tantôt agités, charriant bois morts, petits esquifs aventuriers ou gros rafiots médiatiques, d’où les hommes guettent tant bien que mal les repères du paysage macro-historique, les balises d’aide à la navigation (signaux sociaux, économiques, politiques) comme les dangers environnementaux et les écueils affleurants qui menacent.

Dans ces conditions précaires, voire dangereuses quand le cours des faits se fait torrentiel dans des rapides qui se démultiplient, il est illusoire de vouloir garder une totale maîtrise de la veille informative ou même une vision synoptique, panoramique, de l’ensemble des actualités et des médias ou réseaux sociaux qui accompagnent leur flux.

Donc, en matière de veille média à l’ère de l’hyper-accélération et de la réalité augmentée, il s’agit de se faire à quelques idées-clés telles que:

1. tout observateur est de facto acteur de ce qu’il observe;

2. la perception qu’il en a ne peut qu’être subjective, fugitive, segmentée et parcellaire;

3. la veille observatrice ne peut se reposer que sur des choix médiatiques forcément restreints (tels titres de presse, tels canaux de télédiffusion, tel ou tel réseau social suivi par priorité à d’autres), ainsi que,

4. un nécessaire croisement/recoupement, toujours utile, des diverses sources d’information (officielles, officieuses, citoyennes, activistes, etc.) comme des signaux socio-goniométriques émis par les grandes balises informatives (agences, chaînes radio-télé en continu) et communicatives (communication institutionnelle, sondages, etc.).

Voilà comment je survis dans le monde mouvant des technoscapes, médiascapes, financescapes, idéoscapes et autres ethnoscapes décrits par le socio-anthropologue Arjun Appadurai dans “Modernity at large, Cultural Dimensions of Globalization”, (moins bien titré en français “Après le colonialisme”), essayant de ne pas me laisser noyer dans le flot quotidien croisé de mes timelines de networker, ni submerger par la masse des infos “googelisées” de la connecting/ted TV. Avec deux ou trois titres (tout au plus) de presse écrite quotidienne ou hebdomadaire en guise de cartes d’état-major pour affronter ce terrain hostile. Et l’écran de mon iPhone en guise de GPS au cas où je m’égarerais dans le vaste champ de la communication globale…

Voilà comment un nomade de la communication organise sa veille média de bivouac en bivouac, en conditions de survie, tant bien que mal. Et vous, ça va, dans la station radar? » (JD, avril 2012)

En bonne logique il en va exactement de même, je pense, sur le pont de chaque radeau social où s’organisent tant bien que mal, aujourd’hui, la survie écosystémique collective et l’action citoyenne pour et par la démocratie directe. Dans les rapides, les creux et les remous de l’Histoire, face aux déferlantes de l’ensemble désordonné et tumultueux des flux événementiels accélérés, économiques, financiers, migratoires, médiatiques, idéologiques, culturels, civilisationnels…

S’il y a toujours sélection naturelle au sens évolutionniste darwinien, la survie de l’espèce humaine est plus que jamais conditionnée, comme sur un raft pris dans les pires tourbillons, par sa capacité de perception/compréhension immédiate des mouvements ou trends qui agitent la société des hommes, comme d’adaptation quasi-réflexe et impavide à ces conditions de navigation sans cesse mouvantes, changeantes, déroutantes, déstabilisantes.

Il ne s’agit pas ou plus d’accentuer aveuglément la vitesse (le progrès) pour surfer sur la vague illusoire de la croissance à tout-va, ni même d’accélérer artificiellement la décroissance, il s’agit d’être plus et mieux que jamais pro-actifs, parfaitement préparés/ées aux décélérations et aux accélérations subites ou incontrôlées des processus économiques et autres mécanismes sociétaux. Sans parler des effets grandement imprévisibles des événements catastrophiques à causes naturelles ou humaines…

Dans la culture politique de la démocratie directe comme en économie sociale ou en théorie des systèmes d’organisation, il s’agit dès lors d’opter systématiquement pour des modélisations de préférence dynamiques, fluides, nourries par de l’intelligence collective et adventive, au développement aussi rhizomique qu’un bon mind mapping, sur un mode pseudo-aléatoire et non fini de work in progress donc. Ce qui n’exclut pas le ralenti, la lenteur apaisante.

Ni les ancrages locaux fixant les expériences utiles et favorisant la résilience naturelle, à l’instar de la végétation colonisant çà et là les replis de la berge au long d’un cours d’eau tumultueux: nous devrions considérer prioritairement, dans cette veine d’inspiration, les bonnes pratiques innovantes et intelligentes que sont les Initiatives de transition, d’inspiration anglo-saxonne (Transition Network), les retours à la simplicité volontaire, à la slow attitude, les FabLabs, les coworking hubs et autres nombreux concepts novateurs. Des concepts que recensent symboliquement sur The Map les Citizens in The Lab « unis de par le monde pour créer un Futur meilleur », épaulés par le think tank Edgeryders.

Surtout, il ne faut plus utiliser ni entretenir des représentations statiques structurellement rigides et historiquement dépassées comme les cloisonnements sectoriels, hiérarchies pyramidales et autres organigrammes figés dans le passé.

La négation même de la dynamique de mouvement, porteur d’incertitude certes mais aussi de promesses d’innovation et d’avancées sociales, réside dans l’immobilisme génétiquement inscrit (comme leur fin programmée) au coeur de toute structure verticale qui a pour vocation forcément totalitaire de contrôler, encadrer, cloisonner, maîtriser, enfermer.

Dans des unités, des cellules, des commissions, des divisions, des sections, etc. Tout le contraire de la démocratie ouverte prônant la pratique de l’Open Governance, qui se répand en cercles virtuels de plus en plus larges, pas forcément concentriques, et entend disséminer, essaimer, épandre, partager, libérer les données publiques enfin accessibles au plus grand nombre. En un mot: ouvrir.

C’est pourquoi, surtout par rapport à l’effervescence et à la volatilité des courants de pensée actuels, je crois plus volontiers au mouvement politique, comme principe d’action transversale à différentes couches ou pans de la société, qu’au principe de partition sectaire porté par le parti traditionnel, définitivement dépassé et condamné à disparaître.

Du moins devons-nous y travailler, par plus de démocratie participative et non pas partitive, pour ne pas dire partisane comme cela reste trop souvent le cas. Dans nos démocraties censément parlementaires, on n’a jamais autant qu’aujourd’hui parlé de discipline de parti, de mot d’ordre, pire, de « consigne de vote », un concept à bannir pourtant.

Même et surtout dans les chambres de démocratie représentative où siègent des « députés », c.-à-d. des personnes en principe élues, envoyées, déléguées, députées comme telles, intuitu personae, par d’autres citoyens pour les représenter en tant que peuple souverain, et non par des appareils de partis qui, initialement du moins, n’avaient pas d’existence constitutionnelle et ne devraient pas en avoir. Encore une réflexion et une réforme à entreprendre…

A quand des cyber-parlements relayant en réalité augmentée les hémicycles des systèmes parlementaires classiques; (r)établissant à travers les réseaux sociaux interconnectés des circuits courts et directs de communication et d’impulsion démocratique entre l’élu/e, ses électrices et électeurs, de plus en plus jeunes et donc « digital natives »; favorisant et valorisant par ricochet l’engagement citoyen et l’empowerment, le retour individuel au coeur du pouvoir collectif ?

Seule garantie que la parole et la décision politique ne soient pas systématiquement confisquées, comme dans la particratie classique, par le travail des seuls groupes parlementaires voire l’ouvrage occulte des cabinets ministériels.

Comme l’a bien résumé un ami soucieux de dynamiser la politique autant que de dynamiter cette particratie dominante, « un mouvement citoyen est plus fédérateur que les partis politiques, lesquels isolent souvent, quand le mouvement entraîne".

Pour terminer en restant sur la même longueur d’ondes en ce qui concerne la dynamique des fluides et des flux, le modèle systémique qui a nourri cette réflexion prospective, comment ne pas dire un mot du dernier avatar en ligne de la démocratie participative: la « démocratie liquide ». Curieuse appellation, sémantiquement justifiée cependant, pour désigner ces nouvelles plateformes web, à l’origine naturellement « open source », qui ont pour but d’implémenter la démocratie participative dans toute forme d’organisation, d’y assurer ainsi un feed-back collectif et la transparence des décisions collégiales qui en résultent.

Un autre ami, aussi féru de citoyenneté engagée et de démocratie participative via Internet que de facilitation numérique des processus décisionnels, m’en signale trois très intéressantes et aisées à utiliser, parmi d’autres sans doute.

Voici ces plateformes dédiées au processus démocratique.

Toutes trois, de création européenne apparemment, se réclament explicitement de la "démocratie liquide". Dont on voit bien en expérimentant les versions-tests que, même si elle coule de source, cette forme fluide de la démocratie virtuelle demande à être captée, canalisée, voire parfois mise en bouteilles pour être consommable. Des bouteilles qu'Agora Ex machina, pour prendre un exemple, appelle des sujets de discussion, rangés dans des "instances" comme dans des caisses dont des "votes instanciés" vont ensuite décider de la distribution publique, selon les propositions reçues et les groupes destinataires.

Fluides, liquides ou gazeuses, les idées du temps n’échappent donc pas, tôt ou tard, à la mise en casiers.

Le minimum de structuration normative acceptable, sans doute, par les communautés alternatives qui font appel à ces solutions conviviales, parmi lesquelles les jeunes partis pirates européens. Peut-être faut-il y voir une résurgence du “conseillisme” des premiers temps du “communisme de conseils”, vraie pratique expérimentale du partage des décisions, d’avant la première glaciation soviétique léniniste bien sûr. Le “conseil” ayant souvent été associé depuis lors, d’un point de vue libertaire, à la notion de “mouvement”. Sans trop savoir laquelle découle de l’autre… (JD)

Une autre plate-forme

Je n’ai pas eu le temps de lire tout en détail, mais j’adhère à votre approche, adoptant, moi-même une stratégie et une approche fort semblables.

J’ai créé récemment une plate-forme démocratique, actuellement en béta, dont le but est d’instrumentaliser la dialectique : http://demopolitique.fr/

J’explique brièvement son fonctionnement et mes besoins pour développer la plate-forme ici : http://edgeryders.ppa.coe.int/spotlight-open-government/mission_case/d%C3%A9mopolitique-crowdsolving-tool

Réponse tardive, perdue dans les mail flows…

(Même remarque que pour la réponse faite à Demsoc, tardivement elle aussi: le serveur d’Edgeryders n’a pas transmis ma réponse en temps utile avant lote… les surprises inéhentes aux flux informatifs non maîtrisés!)


Nicolas, j’espère bien qu’on se verra à Strasbourg pour discuter plus longuement et profondément (en français). Avec Lyne et Michel Filippi notamment.

En principe cela devra être facilité par le fait que nous sommes tous sur le “track”  We The People…

Entre-temps, j’ai commencé à examiner avec intérêt le projet Démopolitique et le travail dialectique qu’il suggère.

Maïeutique, questionnement socratique, disputatio, métarsioleschie (l’art grec de la “discussion dans les nuages”, qui n’est pas loin de la météorologie…), il y a beaucoup à creuser à ce sujet!

Dialectique démopolitique

Merci Nirgal, comme vous je n’aurai sans doute pas le temps de tout lire en détail mais je vais aller jeter un oeil à votre plate-forme et vos projets de développement.

Je précise que je ne suis pas moi-même un développeur, mais simplement un penseur de la démocratie participative et de la citoyenneté engagée,

qui cherche à clarifier et unifier ses visions stratégiques dans une explication systémique, pour ne pas dire holistique, basée sur le mouvement et les flux, notamment événementiels ou communicationnels.

Je serai sûrement très intéressé de découvrir comment vous vous approchez techniquement de ce qui ressemble bien, n’ayons pas peur des mots, à une vraie utopie… (JD - 13 juin)

L’Internet des citoyens?

J’ai lu votre modèle avec interêt. Elle m’a rappelée un remarque de Prof. Patrizia Nanz au “sommet PEP-NET” à Hambourg il y a quelques semaines, à savoir qu’on doit créer “un Internet des citoyens”, avec connections rapides et fluides, comme vous décrivez ici.

Un petit question: est-il une risque que cette “fluidité” améliore les décisions, mais complique le processus de prise de décision (du point de vue des citoyens non-participants)?

Le mouvement incessant des flux de la modernité

NB Réponse rédigée et envoyée le 13 juin mais effectivement mise en commentaire un peu tardivement, hélas : une bonne lllustration du différentiel perturbant des vitesses relatives que l’on peut observer dans les flux informatifs, engendrant au passage des effets accidentels, par le délai du temps de réponse, des ruptures de communication, des incohérences du discours ou des incompréhensions réciproques - un phénomène souvent observé aussi dans les ‘chats’ supposés se passer en temps réel…


Merci pour votre commentaire, cher “Demsoc” (en espérant savoir à Strasbourg qui s’avance sous cet alias démocrate^^J)

C’est un plaisir de voir que des idées peut-être encore un peu confuses, ou ardues à assimiler, sont néanmoins reçues, partagées et discutées avec pertinence.

Pourvu qu’il en soit de même durant la conférence lote sur des sujets comme celui-là.

J’ai bien conscience, en effet, de déborder largement - encore une image fluidique qui vient naturellement ! - du cadre pragmatique des travaux de la Conférence.

Et votre question même me le confirme: vous me parlez, judicieusement, de" l’Internet des citoyens" prôné par le Prof. Nanz - mais n’y baignons-nous pas déjà? -,

tandis que c’est d’un champ bien plus large encore, parce que réel autant que virtuel, dont je tente d’esquisser le modèle systémique global: la modernité en mouvement incessant.

En ce sens, les divers flux, événementiels, médiatiques, informatifs, économiques, culturels et autres qui circulent à la vitesse de la lumière sur Internet et font scintiller le monde de feux follets

ne sont qu’un aspect de la réalité complexe, mouvementée et souvent accélérée qu’il nous faut comprendre, décrire et surtout assimiler, par notre adaptativité cognitive et comportementale.

En abandonnant autant que faire se peut les modèles surannés que nous ont imposés le structuralisme, le constructivisme et tous les systèmes rigides qui ont précédé, mais ne sont cependant que des courants de pensée.

De même, tout devrait être désormais conçu, créé et agi non pas dans la vitesse ou l’urgence, mais avec une grande conscience du mouvement incessant (je ne dis pas: progrès !) du monde et des idées,

du caractère précaire voire éphémère des constructions même symboliques de l’homme. De la grande fragilité de toute création humaine face au temps qui passe et souvent s’accélère jusqu’à l’hyper-vitesse.

Dans une temporalité longue, toutes nos institutions, même nos Constitutions, sont des objets éphémères, voués à évoluer ou à disparaître, plus ou moins vite. Et nos lois et règlements avec…

Dans une temporalité courte, le temps d’une législature comme un quinquennat par exemple, oui, paradoxalement, les processus de décision nécessités par l’actualité sinon l’urgence peuvent devenir d’autant plus compliqués qu’ils se multiplient en temps réel, techniquement facilités par la “fluidité” organique des boucles de décision (pouvoir/responsabilité) et d’information/communication qui remplaceront à l’avenir les lents et pesants “mécanismes” de décision institutionnels.

Avec des connexions beaucoup plus courtes, nombreuses et rapides, fluides même, effectivement, en démocratie directe,

entre les citoyens lambda et les représentants élus de cette lambdacratie dans les cyberparlements à venir.

Mais cela, on peut l’observer dès maintenant et tous les jours, dans la vitesse croissante de propagation médiatique des événements politiques, qui obligent souvent les gouvernants à (mal) gouverner à vue, insuffisamment drillés qu’ils sont à ces situations de crise à répétition. Ce qui explique peut-être qu’ils soient si vite grillés et si vite remplacés aujourd’hui, usés par un exercice du pouvoir de plus en plus haletant et éreintant: vous verrez qu’il y aura un jour où l’on parlera de ramener les mandats présidentiels à trois ans pour faciliter le renouvellement, le “turnover” des dirigeants politiques. C’est le principe même, très pragmatique, des présidences collégiales à la suisse, qui ne favorise évidemment pas le culte de la personnalité, mais s’oppose encore, affectivement plus que rationnellement, à notre culture dominante de l’homme de pouvoir, faussement providentiel et fort, mais si fragile…

Certes, pour en revenir à l’implémentation progressive de la démocratie participative dans nos systèmes parlementaires,  il y a des risques de dysfonctionnement (notamment d’exclusion des citoyens déconnectés de ces processus technologiques, si c’est à cela que vous pensez - dans mon pays la Belgique, la “fracture numérique”  léserait encore 27% de la population).

Mais le risque de l’immobilisme ou de l’inadaptation réactive, aux mouvements d’ensemble comme aux courants divergents qui agitent le monde, est plus grand encore.

Et oser prendre le risque, c’est déjà limiter sinon maîtriser le risque.

Un risque qui est de toute façon inhérent au “global risk management” qu’impose le rythme de plus en plus mouvementé de la gouvernance publique, dans une navigation à vue… ou sans visibilité.

Voilà pourquoi on pressent dans nos sociétés de plus en plus “indignées” par leurs gouvernants une grande attente de changement radical, un profond besoin de “tout” changer (pas seulement les personnalités au pouvoir, mais le mode d’attribution et de fonctionnement du pouvoir lui-même). Voilà pourquoi je plaide pour une réflexion prospective sur tout ce qui pourra fluidifier," faciliter le mouvement" de changement. A commencer par la suppression de la pratique des “consignes de vote” en assemblée parlementaire, où la prépondérance doit être rendue aux individus, représentants du peuple plutôt que de partis voués à se diluer dans le paysage socio-politique.

Voilà. N’étant pas catégorique mais plutôt nuancé dans mes analyses, je ne sais pas si j’ai répondu avec la clarté requise à vos questions, mais c’est cela la glorieuse incertitude de la modernité en mouvement!

Lambdacratie et cybercitoyenneté: mais encore?

En complément de ces textes récents sur le “rafting” démocratique, voici l’adresse d’un dossier Storify regroupant utilement quelques écrits antérieurs sur la réactivation de la démocratie par les réseaux…

http://storify.com/jackydegueldre/la-democratie-au-pays-des-avatars

Vers une nouvelle (absence de ?) gouvernance

Passionnante réflexion, très bien formulée et documentée dont la lecture aura été un réel plaisir, merci !

Je pense, comme je l’ai exprimé lors de la conférence, que le principe même de démocratie est mauvais dans sa définition même. La notion de cratos, donc de pouvoir me gêne profondément. On a déjà vu nombre de systèmes se pervertir à cause du pouvoir, comme le communisme. La démocratie a tenu le coup jusqu’à présent car elle donne une illusion de participation au citoyen.

Il est grand temps de balayer nos erreurs passées et de modéliser un nouveau système dont le seul pouvoir possible serait un pouvoir sur soi-même. Le leadership et l’entrepreunariat qui sont si chers à nos dirigeants y auraient tout à fait leur place, mais ils n’auraient plus le pouvoir d’en abuser.

Mes travaux de ces huit derniers mois ont été focalisés sur la recherche d’une alternative. Cela m’a amené à l’idée du site démopolitique. Je l’ai pensé tout d’abord comme un levier de changement. Son principe de base est d’appuyer le débat sur des sources sures et gratuites. Car un discours politique doit être documenté et appuyé sur des connaissances pour être justifié, et non pas jouer sur les croyances et la manipulation comme cela est bien trop souvent le cas actuellement.

Au fil des rencontres, recherches et découvertes, le concept a évolué jusqu’à une modélisation et un serious game auquel j’ai pensé à la conférence Edgeryders et que j’ai présenté lors d’une session où les personnes présentes m’ont apporté une aide plus que précieuse : http://edgeryders.ppa.coe.int/you-me-and-everyone-we-know/mission_case/edgecamp-unconference-report-sessions-about-demopolitique-a

Son principe est de crowdmodéliser une société alternative composée de micro et de macro communautées, locales ou virtuelles. En posant des questions simples aux citoyens, dans un environnement inspiré des jeux ommunautaires, où les actions sont récompensées là aussi de manière locale ou virtuelle, il serait possible de mettre en relation les offres et les services, les connaissances et les désirs d’apprentissage… Ce système permettrait de mettre en relation des personnes très particulières et de les inciter à se regrouper en communauté, mais aussi de mettre directement en relation les besoins et les services offerts par les citoyens.

De société de service, que j’appelerais plutôt esclavagisme, nous passerions à un société d’échange, d’action et d’efficacité.

Il est inutile de s’apesantir sur l’inefficacité probante de la société actuelle. Je ne prendrais qu’un exemple, la santé. Comment justifier que des laboratoires travaillant sur des sujets aussi sensibles soient concurrents ? C’est impossible, et ce système, outre les problèmes de santé publique et d’abus de tout genre dont nous sommes bien informés, est inefficace. Dans cette société de services où chacun ne remplit bien souvent qu’un seul rôle, le gâchis d’énergie humaine, de ressources, de compétences et de savoir-faire est gargantuesque.

Le monde est déjà en train de changer, et les dirigeants ne pourront rien y faire. La résilience devient un mode de vie, et le capitalisme va peu à peu s’assainir en changeant de modèle économique pour se tourner vers la base. Financer les bons projets plutôt que développer un projet pour ensuite l’imposer.

Ce changement n’est plus qu’un histoire de temps. Ca tombe bien, tout s’accélère, et je ne serais guère surpris de voir des changements profonds dans les mois à venir. Pour le mieux espérons-le, mais je dois dire que depuis quelques mois, j’ai une foi toute raisonnée en notre belle Humanité.